Depuis le temps que je vous la dois.
Faut dire que j’ai été happée par plus urgent ou alors c’est ce que j’invente pour ne pas concéder que j’ai repoussé au max le moment où j’allais devoir vous mettre au cœur du sujet, ici, là où vous n’avez pas grande utilité puisque c’est un espace concurrent, de loin le plus efficace pour colmater mes failles. Et c’est vous donner une autre place que la votre, ailleurs que dans ce fauteuil d’un autre temps, la jupe aussi, ailleurs que derrière vos lunettes trop grandes pour votre petite tête, ailleurs que sous votre carré bien fait, même pas hirsute d’entendre les seaux d’angoisses que je vous déverse depuis trop longtemps maintenant pour que je le dise. Et vous le savez mieux que quiconque, je déteste que les choses ne soient pas à la place qui est la leur. Mais, vous le savez aussi, je fais une légère fixette sur la valeur d’une parole donnée et quand je dis je fais. Bref, me voilà prête à vous gratter deux trois mots en espérant que vous ne soyez pas aussi curieuse que vous le dites et que vous n’êtes pas du genre à aller voir ce que font vos patients quand ils ne sont pas en train de renifler leur morve en vous dégobillant leurs névroses.
J’aurais aimé vous écrire une lettre de rupture, un joli petit texte par lequel je vous remercierais pour les années de loyaux services en vous souhaitant une joyeuse continuation. Mais j’ai bien peur que ça ne soit pas pour tout de suite, est-ce que ça le sera un jour ? Pas dit. Ai-j encore besoin de vous ? Pardi.
Et si nos séances s’espacent à présent de plusieurs semaines, je vois dans la psychothérapie une béquille au moins aussi essentielle à mon équilibre que le pilâtes, l’amitié, l’écriture et les Figolu.
De beaucoup pensent que ce sont les fous qui vont chez les psys, moi je crois au contraire que c’est en y allant qu’on ne le devient pas. Puisque tout est fait dans ce monde pour que l’humain décompense.
Et puis je vous apprécie, on connaît l’importance de réussir à trouver un thérapeute auprès de qui on se sent bien, moins mal sinon. Un truc de feeling, d’humain mais aussi de méthode sans doute. Moi j’ai besoin qu’on me dise les choses sans détours, avec le moins de distance possible, c’est ce que vous avez réussi à faire assez vite alors même que je n’aurais pas misé trois balles sur vous la première fois que j’ai passé la porte du cabinet, avec votre tête de greffière ou d’inspectrice des impôts ou de surveillante d’internat catho.
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