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La porte de chez le notaire se ferme derrière nous dans un claquement sourd et lent qui témoigne de la qualité des charnières. Information qui ne sert à rien. On s’échange des sourires soulagés, de ceux qui viennent après les gros événements et le stress associé : l’acte est signé, tenez, les clefs sont à vous on leur dit, et la maison avec.

Les Murs
4 min ⋅ 16/09/2025

La petite voix dans ma tête redouble d’arguments pour ne pas que les larmes que je sens stagnantes dans la gorge se mettent à jaillir sur la salopette American Vintage – sur laquelle je lorgne – de celle qui dormira ce soir dans cette chambre que je pensais mienne à jamais.
Je m’applique à la rétention de la morve et je pense à la gueule de merde que j’aurais si je m’autorisais l’impudeur des sanglots.
Je viens pourtant de leur donner ce que j’ai de plus intime ou presque, mon nid, mais je considère sur l’instant que l’émotion qui dégueule n’a pas sa place sur ce parking notarial. Et je détesterais embarrasser tout le monde.

Je les aime beaucoup. Ils sont beaux mais surtout bons, et je suis sincèrement heureuse que ce soit eux qui prennent le relais dans cette maison. C’est cet argument-là que ma petite voix martèle pendant que je les écoute parler avec Jérôme : Vanlife, montagne, toilettes portatives and co. Je glousse en façade mais dedans je pleure, ils ne le savent pas. Ils ne savent pas que quitter cette maison, c’est quitter une partie de notre histoire. Que c’est tant de choses. C’est mon installation au Pays basque, c’est le maillage de notre famille recomposée, c’est le cocon fait avec soin pour nos enfants, c’est notre foyer de noces, c’est là qu’Orso est né (qu’il a été fait aussi, sur le plan de travail près du grille-pain, si vous me lisez M & A), c’est devant le miroir dans l’entrée que j’ai vu la peau de mon ventre se tendre jour après jour, ce sont ces journées sans fin passées dans le canapé avec son corps de quelques semaines posé sur le mien meurtri, gorgé de graisse, de lait, d’hormones, de peurs. C’est la maison des copains, des soirées tièdes, des dîners d’hiver, des sauts dans la piscine, des parties de Molki dans l’herbe, c’est la maison de la famille, celle des chiens, c’est la maison des ados, des chambres en bordel, des rires, des coups de gueule, c’est la maison de la vie, de la joie et de l’amour par-dessus tout.

J’ai le culte du nid alors c’est toujours une épreuve de quitter une maison, plus pour moi que pour d’autres, l’hypersensibilité sans doute, encore elle, et la nostalgie comme pierre angulaire de mes humeurs.

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Les Murs

Par Laura Isaaz Thion

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