Pas les moches qui ont la gueule en biais, peuchères, les moches du cœur, on les connait. Qu’ont-ils de différent des méchants ou des cons ? Les moches du cœur font les gentils. Rassure-toi papa, je ne t’ai pas choisi parce que tu représentes la somme des trois, mais parce que je voulais du doux et laisser ma colère quelque part le temps d’un message qui parle d’amour. Bref. L’autre jour, après notre déjeuner ensemble et en regagnant nos voitures respectives, sur le parking, je t’ai lancé un je t’aime, fort. Comme un incontrôlable cri du cœur, animal, emporté. J’ai vu à ta tête qu’il t’a fallu un temps pour analyser l’info : m’a-t-elle bien hurlé je t’aime au milieu des guimbardes en épi. Oui.
Tu m’as souri et répondu moi aussi.
Dans la voiture, seule, j’ai senti le chaud monter aux joues comme si quelqu’un avait parlé à ma place pour dire ces choses qu’on étouffe parfois. Surtout avec toi, on se ressemble pas mal sur ce point, la grande pudeur. Que je combats ici à ma façon. On s’aime, je veux dire c’est évident, mais l’exprimer avec la voix c’est une autre chanson. J’ai ce souvenir d’ailleurs, enfant, quand je disais je t’aime autant de fois que d’autres clignent des yeux, toquée déjà, tu m’avais un jour lancé cette phrase marquante ; tu le dis trop.
Et devant ma mine éteinte tu avais justifié ton blâme ainsi : je t’aime c’est fort, ça ne peut pas être dit comme ça, toutes les trente secondes, comme un simple salut ou même un bisou. Après ça, comme si la rareté rendait plus précieuse la déclaration, je suis devenue une grosse pince en je t’aime. Jeté par texto quand l’occasion l’exigeait et puis l’autre jour quand je t’ai vu t’éloigner sur ce parking.
Pourquoi ? Parce que j’ai un peu peur je crois.
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