Tu me manques. Tu me manques même souvent. Surtout depuis que j’ai eu l’audace d’enfanter le dernier de la tribu faisant fi de ma charge mentale déjà saturée comme les nappes phréatiques du 64. Je t’avais pour moi encore un peu jusqu’à ce que je t’offre à lui. Sans compromis et tout entier. Mais nous nous retrouverons.
En attendant, je te saute dessus quand je le peux, comme une lionne sur sa proie, comme un enfant sur le chocolat, comme Kaaris sur Booba, comme Jean-Edouard sur Loana, comme Jérôme sur Laura. Y’a quoiiii.
Je devais écrire vendredi, mais comme souvent tu n’étais pas là. J’ai pensé, ce week-end ça ira bien, les gens ne sont tout de même pas à deux jours près pour me lire. Si ? Une partie de moi se rassure en se disant que non, me laissant libre de subir ton absence sans négliger ceux qui me soutiennent. L’autre se flatte en imaginant que oui, rêver mes abonnés collés à leurs écrans, la moustache qui perle et le poul à trois-cent comme des Swifties à l’ouverture des résas. Allez Laura, allez Laura. Prions pour un entre-deux, des lecteurs enthousiastes et fidèles mais qui ne te voient pas passer. J’espère écrire pour être lue, sans quoi j’aurais un peu le sentiment de te perdre.
Cafard, pardon.
Cette après-midi, tu m’as laissé assez de toi pour que je puisse enfin m’isoler derrière mon nouveau bureau chiné - il a le chêne clair et les pieds en bois tourné on dit - après avoir déjeuné en famille dans l’arrière-pays. Au creux des collines vertes et dans l’air humide, tu t’es figé, comme toujours là-bas.
Il paraît que le dimanche on peut (on doit ?) davantage profiter de toi. Peut-être même que le dimanche a été inventé pour ça. Que tu deviennes cher aux yeux des gens. Pour ça et pour le petit jésus. Bref, en rentrant tu étais là, alors j’ai dropé l’héritier à la couche saturée comme ma charge mentale dans les bras du paternel, la benjamine à la SVT et l’ainé dans son antre senteur pieds.
Chrono. J’ai une heure de toi devant moi. Et si je t’écrivais alors. Perchée l’idée ? Peut-être, mais n’est-ce pas finalement là la logique, écrire à ceux qui nous manquent ? Et comme je boude mon 36 et le soleil, c’est toi qui ramasses.
Te choisir sans tellement savoir quoi te dire au final. Un peu con du coup mais j’ai le don de réussir à toujours trouver des choses à raconter. C’est même toi qui m’as appris ça. Toi et Romy. Quand petite elle me demandait d’inventer des histoires pour elle. D’abord, éreintée de la journée – tu étais déjà rare dans ma vie à cette époque – je disais non pas ce soir il est tard fais dodo. Et ses deux yeux gros comme des calots s’embuaient sur commande pour donner du crédit à la requête miaulée après « s’il te plaiiiiiiiiit maman d’amouuuur ». Ok mais cinq minutes alors, ça finissait toujours comme ça et tu devenais pour elle si précieux que cinq minutes comptaient plus dans sa journée que tout le reste.
C’est là que tu deviens complexe. Quand au-delà des mesures qui te définissent, des sciences qui ont dessiné tes contours, tu parviens à trouver une liberté en étant perçu différemment en fonction de là où tu es.
Je n’ai pas tellement aimé l’enfance, agacée de devoir me plier aux règles de l’âge alors que j’ai toujours été une vieille âme, mais je la regrette parfois pour une unique raison : tu étais là, parfois trop. Et tu semblais si long. J’ai dix ans dans mes souvenirs et on me dit « c’est dans un an », je ressens sur l’instant un vide immense et je pense « mais un an c’est une vie ».
Aujourd’hui, 26 ans plus tard, quand on me dit « c’est dans un an » je réponds « mais un an c’est demain ». L’âge a ça de sournois que plus tu passes, plus on ne retient de toi que les inconvénients. Tu n’es plus vraiment là mais tu laisses des traces. On te cherche dans chaque recoin de nos vies mais les seuls endroits où on te trouve c’est là où tu ne seras jamais le bienvenu. Et tu t’étales gaiement dans cette toxicité qui nous fait courir après toi tout en voulant chasser les marques de ton passage sur nous. Vouloir se poser, profiter un peu, prendre un peu de toi pour soi mais déraciner à grands coups de pince les cheveux blancs qui témoignent de ta loyauté. Gommer les rides et la peau qui chancelle. Te vouloir mais en cachette.
C’est beau comme c’est violent.
Parfois j’aimerais t’accélérer, te prendre, te remonter.
Revoir les gens, les visages, les endroits, sentir les odeurs, entendre les rires, la musique, les vagues, les oiseaux dans les arbres.
J’aimerais serrer la main de ma grand-mère et pouvoir faire à nouveau ce baiser sur son front tiède juste avant que tu ne l’abandonnes.
J’aimerais être assise dans l’herbe avec ma sœur, c’est l’été, l’heure du goûter et on t’a tout à nous. Il faudra juste rentrer la nuit tombée.
J’aimerais revivre cette soirée d’été où je l’ai vu pour la première fois. Géant au regard bleu et aux cheveux d’argent.
J’aimerais l’épouser encore.
J’aimerais que tu joues en ma faveur et qu’il ne se lasse jamais.
J’aimerais retrouver mes vingt ans, m’avertir que tu passeras trop vite et qu’il faut jouir de chaque seconde parce que plus tard il est souvent trop tard.
J’aimerais sentir le cou de ma fille et qu’elle me demande des histoires le soir.
J’aimerais être certaine de disposer d’assez de toi pour les voir devenir vieux.
J’aimerais pouvoir écrire encore et encore mais il est l’heure d’aller doucher le bébé - la maman - ranger - cuisiner (lol) - donner la purée - le bibi - laver le nez - bercer - faire réviser - plier le linge - sortir les poubelles - rentrer les chiens - dormir peut-être.
Et je n’ai pas le pouvoir de t’arrêter.
Alors comme toi,
Je file.